L'heure de vérité pour l'euro, par Pierre-Antoine Delhommais
L'économiste américain et Prix Nobel Milton Friedman affirmait que l'on pourrait juger de la réussite de l'euro seulement le jour où les pays de l'Union monétaire entreraient en récession. On y est. Selon l'OCDE, le PIB de la zone euro devrait reculer de 0,6 % en 2009. La monnaie unique va-t-elle passer avec succès le "krach test" des subprimes ?
A cette question, les économistes apportent, comme il se doit, des réponses opposées. Dans des points de vue publiés par Project Syndicate, Martin Feldstein, professeur à Harvard, estime que l'euro est en grand danger ; Barry Eichengreen, professeur à Berkeley, juge au contraire qu'il va en sortir renforcé.
Premier argument des optimistes : la BCE, gardienne de l'euro, a gagné en crédibilité. Non qu'elle se soit montrée particulièrement perspicace - elle n'a pas plus que les autres vu arriver l'ouragan. Non que sa stratégie ait particulièrement convaincu - on se demande encore pour quelle raison elle a relevé ses taux en juillet et pourquoi elle a ensuite tant tardé à les baisser. Mais la Fed, de son côté, par la faute d'Alan Greenspan, s'est tellement démonétisée, la Banque d'Angleterre s'est tellement ridiculisée dans l'affaire Northern Rock, qu'en comparaison, la BCE donne presque l'impression d'avoir effectué un sans-faute.
Deuxième élément favorable à l'euro : les pays européens qui ne le possèdent pas souffrent encore plus que ceux qui le détiennent. A commencer par la petite et malheureuse Islande : son économie, dont les performances suscitaient pourtant l'admiration des organisations internationales, a implosé. La Bourse de Reykjavik a perdu 95 % depuis le 1er janvier, et son déficit budgétaire devrait frôler les 13 % du PIB en 2009. Pour boucler leurs fins de mois, les Islandais bradent leurs 4×4, tandis que les étudiants partis dans des universités étrangères sont obligés de rentrer au pays, incapables de financer leur scolarité.
La Hongrie a elle aussi chaviré, tout comme la Lettonie, et seule l'intervention d'urgence du FMI a permis de sauver les naufragés. D'autres pays pourraient bientôt connaître le même destin, victimes de la fuite des capitaux étrangers qui leur assuraient jusqu'à présent leur développement. Même le Danemark a souffert, obligé de relever ses taux pour défendre sa monnaie, tandis que le Royaume-Uni se retrouve dans une situation à haut risque : la livre sterling baisse aussi vite que le déficit public monte, ce qui pourrait finir par poser de très gros problèmes de financement à l'Etat.
A Reykjavik, à Copenhague et un peu partout en Europe, on entend la même prière : saint Euro, adopte-nous et protège-nous des malheurs économiques de ce monde ! Même à Londres et en Suisse, certains hauts dirigeants politiques seraient prêts à se convertir.
C'est avant tout à sa taille que l'euro doit de s'être imposé comme bouclier anti-subprimes. En matière de monnaies et en temps de crise, les investisseurs préfèrent les grosses : celles dont la masse critique est telle qu'elles constituent à elles seules un gage de liquidité et de sécurité. Parmi elles, le dollar, le yen, l'euro, le franc suisse et, jusqu'à il y a peu de temps encore, la livre sterling. Bref, le prestige accru de l'euro se mesure au nombre croissant de pays désireux de rejoindre le club. Voilà pour les optimistes.
Les pessimistes maintenant. Pour eux, la crise des subprimes révèle et confirme le défaut majeur de l'édifice monétaire européen : l'absence d'une structure politique capable de prendre des mesures fortes dans des moments forts. Pour preuve, les bagarres franco-allemandes à propos de l'adoption du plan de sauvetage bancaire. Pour preuve, surtout, un plan de relance a minima (1,5 point de PIB), trois fois moins qu'aux Etats-Unis. De surcroît une simple addition des plans nationaux, sans aucune cohérence globale, certains misant sur l'offre, d'autres sur la demande. Comme si la Californie avait mis en place ses propres mesures de relance pendant que le Texas adoptait les siennes.
Reflet de ces tiraillements européens : sur les marchés, l'Italie doit aujourd'hui offrir des taux supérieurs de 1,4 % à ceux de l'Allemagne pour emprunter à dix ans, la Grèce de 2,1 %, contre seulement 0,2 % à 0,3 % avant le début de la crise. En d'autres termes, la zone euro est en train de perdre à toute vitesse cette homogénéité financière et monétaire qu'elle avait eu tant de peine à acquérir. Jusqu'où ces forces centrifuges agiront-elles ?
L'Allemagne se raidit, inquiète à l'idée que les déboires des "pays du Club Med" - comme un responsable de la Bundesbank les avait aimablement qualifiés - finissent par la contaminer. Ses plus hauts dirigeants monétaires, Jürgen Stark et Axel Weber, expliquent que la BCE ne doit pas aller plus loin dans la baisse des taux. Sur le plan budgétaire, Berlin estime qu'il n'a pas à casser la tirelire patiemment remplie grâce à ses efforts de modération salariale pour aider des pays ayant vécu au-dessus de leurs moyens et ayant accumulé les déficits. A l'inverse, jusqu'où les pays d'Europe du Sud - la Grèce en premier lieu - pourront-ils s'enfoncer dans la crise économique et sociale sans crier grâce, sans être tentés d'abandonner l'euro, devenu un carcan ? Dans ce cas, l'euro - et c'est le pronostic des plus pessimistes parmi les pessimistes - finirait par ressembler à s'y méprendre au deutschemark et à ses satellites. Ou pour paraphraser une formule célèbre définissant le football : "L'euro, c'est une monnaie qui se joue à quinze, mais à la fin, c'est toujours l'Allemagne qui gagne."
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Original Source: LE MONDE
Date Published: 13.12.08
Web Source: http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/12/13/l-heure-de-verite-pour-l-euro-par-pierre-antoine-delhommais_1130748_3232.html
Date Accessed Online: 2008-12-13
Labels: Economy, Euro, Global Crisis, Money
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